Terra Incognita
installation numérique interactive
production : Bipolar
en partenariat avec :
Le Fresnoy – studio national des arts contemporains
Sciences et Cultures du Visuel
Laboratoire LINKS – INRIA
Laboratoire MINT – INRIA
2013-2017
Un lac triste, une baie blanche, un col impossible, une mer morte…
Ces toponymes (noms de lieux) existent à travers le monde, ils témoignent du paysage et qualifient le contexte d’un terrain. En conservant uniquement ces noms évocateurs, Terra Incognita propose une cartographie épurée, nettoyée de ses couches informatives. A l’heure de Google Earth et des regards omniscients, ici la carte n’a ni échelle, ni légende, seules les lignes des littoraux et les contours des lacs apparaissent sur fond blanc. Elle est présentée sur une table tactile dans un dispositif pensé comme un espace de travail et de consultation intimiste. La navigation se fait par association de sens, proposant ainsi un déplacement sensible et poétique, d’un nom symbolique à un autre.
Descriptif du projet :
Une carte du monde est présentée sur une surface tactile manipulable par le
public. La carte n’a ni échelle, ni légende. Elle est entièrement blanche, seules les lignes
de côtes, les lacs et les îles apparaissent.
Des noms de lieux (toponymes) s’affichent au gré de nos déplacements : un lac triste,
une baie blanche, un col impossible, une vallée merveilleuse... Ces noms descriptifs sont les
appellations officielles de lieux dans le monde. Ils témoignent du paysage autant qu’ils
appellent à l’imaginaire.
Le projet Terra Incognita a impliqué la récupération de tous les noms de lieux du monde
grâce aux bases de données open source de Geonames et Open Street Map. Les noms
ont été traduits en français et un processus de filtrage a permis de ne conserver que
ceux qui témoignent du paysage. Par exemple, le Mont Blanc est présent mais pas le
Mont Rushmore.
C’est une carte de géographie ‘‘sans l’histoire’’, proposant une vision du monde purement
paysagère et rendue poétique par les noms même des lieux..
On peut se déplacer sur cette carte à toutes les échelles, faisant apparaître des noms
de lieux différents.
Le déplacements se fait grâce aux mouvements de nos doigts mais également par
association de sens, proposant ainsi une navigation par le langage. En cliquant sur un
toponyme, on est emmené sur un autre toponyme au nom sémantiquement proche.
Ainsi le visiteur peut se déplacer du Mont Blanc en France à Lac Blanc en Russie, à
Montagne du Givre en Australie à Col Neige en Alaska etc….
Cette carte nous permet pas d’agir sur le réel contrairement aux autres, elle invite à l’exploration
mais ne mène nulle part.
Une imprimante A4 permet au spectateur de repartir avec des vues de la carte qu’il aura
choisi et ainsi de garder une trace de son voyage. La carte est présentée dans un dispositif
pensé comme un espace de travail et de consultation intimiste.
La carte est entièrement lisible en français ou en anglais, grâce à un traitement automatique des langues.
Une application pour tablette tactile, permettra au spectateur d’avoir une autre expérience de l’oeuvre, plus intime.
Réflexion autour de l'oeuvre :
La carte de géographie est présente depuis la préhistoire. Elle est ce qui permettait un décalage, une prise de distance avec le monde afin de mieux le comprendre et agir sur celui-ci. Le fait de traduire graphiquement la perception de notre monde est reconnue comme étant le précurseur de toutes les autres formes de communication. La carte est une des premières passerelles entre l’art et la science.
La cartographie n’est ni tout à fait de l’art ni tout à fait de la science : elle relève du premier comme œuvre composée de mouvements et de formes, de la seconde par ses données quantitatives et qualitatives.
Elle est toujours un outil de pouvoir. Dans beaucoup de pays, la population n’a pas accès à l’information géographique en dehors de la carte officielle du pays, qui est bien entendu un point de vue sur le territoire.
Les données géographiques que nous avons récoltées proviennent d’Open Street Map et Geonames. Ces deux sites collaboratifs essaient de rassembler le plus grand nombre d’informations géographiques possibles, que ce soit via les internautes qui peuvent renseigner le territoire ou les instituts de géographies nationaux qui ouvrent leurs données.
Terra Incognita est une carte réalisée à partir de ces données accessibles grâce à des milliers d’internautes.
Les technologies de visualisation du monde et l’émergence des cartographies collaboratives ont poussé à l’extrême la capacité de cartographier la terre. Tout le monde peut y amener sa pierre, du géographe au simple citoyen
Chacun utilise de temps en temps Google Earth pour se « balader » sur le globe, retrouver cette petite plage où l’on s’est baigné étant petit, la maison de ses grands-parents, son jardin, sa balançoire, mais également voir (faute d’y aller) à quoi ressemble le Machu Picchu, le Colisée. Grâce aux technologies numériques, le monde est disponible, consultable à volonté et à presque toutes les échelles.
Les écrivains Jorge Luis Borges et Lewis Carroll rêvaient d’une carte à l’échelle 1. Une carte si précise qu’elle aurait la taille du monde, et donc le recouvrirait point par point. Dans ces nouvelles, la carte et le territoire auraient été confondus, donc une telle carte n’était pas réalisable techniquement et théoriquement. Grâce aux technologies nouvelles, cette carte prend aujourd’hui une nouvele forme, étant donné qu’il n’y a plus de support pour faire obstacle physiquement à sa taille. Google Earth en est une esquisse.
La carte Terra Incognita propose de vider le monde, et de ne laisser que les toponymes qui ont un sens compréhensible par chacun. Vider la carte, ne laisser que des traces, mais des traces qui disent le monde. Des noms qui ne renseignent rien d’autre que le paysage lui-même. Ils convoquent chacun une image, ils sont support à l’imaginaire. Terra Incognita est une carte de géographie sans l’histoire, sans mention d’une quelconque civilisation ; une carte purement paysagère. C’est un retour à la base de la toponymie, permettre de se repérer et de s’orienter grâce à ces mots et ces représentations.
Cette carte ne nous permet pas d’agir sur le réel contrairement aux autres, elle invite à l’exploration mais ne mène nulle part. Elle constitue une tentative de rendre la carte au territoire, en révélant les liens entre l’espace et sa représentation.
Vider le monde pour tenter de faire apparaître un sens, un regard, à l’heure de google earth et du regard total.
La technologie est ici mise au service du dessin de la carte et des informations qui y apparaissent. Le projet se déploie par la technologie vers l’art et la science, avec des aller-retour possibles entre informatique et sémantique, littérature et technologie, art et visualisation de données.
La possibilité de déplacement par lien de sens, et pas seulement par le glissement de nos doigts, rejoint cette idée de faire apparaître le monde comme une carte-poème. Là où l’installation Terra Incognita cherchait à nous perdre, l’application dans un contexte de géolocalisation proposera de tenter de s’orienter par le sens des noms.
Tenter de dire le monde pour le comprendre, le dire et qu’il soit par tous compréhensible.
Données provenants d’OpenStreetMap et Geonames.
Un projet de Pauline Delwaulle
Production : Mathieu Argaud - Bipolar
Programmeurs : Olivier Cortès - Guillaume Libersat - Fuzzy Frequency
Partenariats :
Le Fresnoy – studio national des arts contemporains
Sciences et Cultures du Visuel : Cécile Picard-Limpens
Laboratoire LINKS – INRIA
Laboratoire MINT – INRIA : Nicolas Bremard, Erwan Douaille, Laurent Grisoni, Yosra Rekik.
Remerciements :
Arno Ledoux, Sébastien Cabour, Cyprien Quairiat, Christophe Grégorio, François Bedhomme, Pacôme Soissons,
Eric Prigent, Stéphanie Robin, Laurent Grisoni, Christophe Chaillou, Véronique Béland,
Daishi Kaszer, les contributeurs d’OpenStreetMap et de Geonames.